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mercredi 10 août 2005

Daddy.

Je suis chez mes parents, dans le canapé, en train de siroter mon jus d'orange. C'est l'heure de l'apéro, les aspirants champions du monde d?athlétisme s'époumonent sur France 3 tandis que la poule au pot mijote dans la cuisine. Cet après-midi, nous avons prévu une visite chez Grand-mère, et puis Lens-Marseille à la télé. « On va être bien, là, dans le fauteuil, hein ! » Les matches de foot, c'est le ciment de cette relation père-fils qu'on n'a jamais vraiment réussi à établir. « Et si on y allait au lieu de regarder ça à la télé ? », je lance. Je sais qu'il ne faut pas lui dire deux fois. Il objecte, pour la forme : « Mais on n'a pas de billets. ». Deux coups de fil plus tard, on sait qu'il reste des billets à acheter sur place. C'est décidé, on ira.

Après une petite sieste et un café, nous voilà sur la route. Dans la voiture, le silence règne. Il y a encore peu, je faisais tout pour le combler, ce qui finissait systématiquement en engueulade. J'ai appris à y trouver de la sérénité ; pas besoin de combler le vide, on ne dit rien, on pense chacun de notre côté, on n'a pas grand-chose à échanger, seulement le bonheur d'être là.

Arrivés sur place, après quelques bouchons, on rachète deux billets à la sauvette, sans trop savoir si on se fait rouler dans la farine, peu importe. On est à dix minutes du coup d'envoi. On entre dans le stade, le match va débuter. A notre droite, dans la tribune Tony Marek, les plus ardents supporters agitent leurs drapeaux et écharpes sang et or et mettent déjà toute leur énergie derrière leurs onze mercenaires. Quand ils entonnent leurs chants et encourageant leurs joueurs, c'est leur misère, leurs friches industrielles, leur solidarité dans l'adversité qu'ils hurlent à la face du monde. C?est du donnant-donnant : « Regardez ! On souffre putain ! Donnez-nous un peu de bonheur ! ». A la mi-temps, en hommage à Pierre Bachelet, à leurs parents, grands-parents, et aussi à eux-mêmes, ils entonnent « Les Corons », enlacés les uns aux autres dans un ballet macabre.

Alors que ces ondes arrivent jusqu'à nous, j'ai la gorge serrée, je sais qu'il ne faut pas que je regarde mon père parce qu'il pleure déjà. Il pleure parce que c'en est trop pour lui, son coeur d'artichaut est loin de pouvoir en supporter autant. Il pleure parce qu'il est content d'être là avec son fils. Il pleure parce que c'est un de ces rares moments qu'on partage ensemble. Il pleure parce que même si ça ne se voit pas à l'extérieur, c'est un homme brisé par trente ans de silence, de souffrances, de mal-être. Parce que ce putain d'accident de bagnole a cassé sa vie en deux et qu'il ne s'en est jamais vraiment remis. 2-0, score final.

Sur le chemin du retour, il fait presque beau, France Info débite son flot de perturbations au péage de Millau et de résultats sportifs. J'appelle maman. « On arrive dans une demie heure ». On mange quelques grillades au four, la météo du Nord Pas-de-Calais n'offrant que trop rarement les joies du barbecue. Après le dessert, je bouquine mon Dantec indigeste dans un des fauteuils du salon. C'est l'été, la saison de Fort Boyard bat son plein, maman est prise dans le jeu, elle vocifère et enguirlande les candidats peu dégourdis. Mon père est allongé à côté d'elle, mais il n'est pas avec nous, il est encore dans les limbes de l?après-midi paternelle que nous venons de vivre. Il y sera encore pendant un moment.

22h30. Habituellement papa est couché depuis longtemps, son heure est passée, mais il s'accroche, pas question d'aller dormir, pas question de rater une seconde de la présence de son fils. Il s'allonge et pose la tête sur le ventre de maman. Depuis des années, depuis l'accident, depuis toujours, ils ont perdu cette proximité physique qu'ont deux amants. La distance qui les a peu à peu séparés leur interdit de se laisser aller à d'éventuels épanchements de tendresse. Ils forment une équipe soudée, une véritable machine de guerre, mais ils ont laissé leur couple fusionnel dans la carcasse de cette foutue voiture. Et ce soir, je vois maman, peut-être pour la première fois en vingt-cinq ans, avoir envers lui un de ces gestes oublié. Elle pose doucement la main sur sa poitrine, avec gêne, comme si elle s'attendait à se brûler à son contact. Il la regarde, ils sourient.

Fort Boyard est fini, ils partent se coucher. Il est bien trop tôt pour moi, alors je bouquine, je regarde Taratata d'un oeil distrait, la fatigue prend peu à peu possession de moi. Je rentre dans la chambre, me roule dans la couette, me tournant et me retournant sans cesse. Je passe une sale nuit.

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