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Profile
First Name: Some Kind Of Time : Born in 1979 Location : Paris Feed Archives février 2005 mars 2005 mai 2005 août 2005 décembre 2005 avril 2006 mai 2006 juin 2006 juillet 2006 juin 2007 juillet 2007 août 2007 octobre 2007 novembre 2007 décembre 2007 janvier 2008 février 2008 mars 2008 avril 2008 mai 2008 octobre 2008 décembre 2008 février 2009 juillet 2009 août 2009 août 2011 août 2013 décembre 2013 Links Bat Lisbei Monsters under the bed Juliette Medellia |
mercredi 2 février 2005 Dix-neuf heures, gare routière de Poissy. Ce soir, les gars m'attendent à vingt et une heures pour la répétition. Nous avons un nouveau morceau à finir et un batteur à remotiver. D'ici là, il me faut trouver à manger. Equilibré, vitaminé et riche en fibres de préférence. Les sandwicheries de la Défense seront fermées quand j'y serai, et le goût que m'a laissé le menu golden big mac, ingurgité entre le quai et le train la semaine dernière, me donne peu envie de recommencer. On me parle d'une pizzeria, trop loin, trop long, trop cher. Elle me conseille de me rabattre sur les sushis à livrer, pas de japonais dans le coin, trop compliqué, trop tard. Va pour le Kébab de la gare routière. Je traverse le tunnel qui passe sous les voies du R.E.R. Les sangles de mon étui basse me découpent les épaules. Une phrase me revient : "Je suis heureux parce que je l'ai décidé." Celle d'un accompagnateur de voyage de terminale, qui dispensait une philosophie de comptoir aux adolescentes de ma classe, fascinées par ce bellâtre bourlingueur. Je mets cette phrase dans un coin de ma tête. Note pour plus tard. J'entre, commande mon sandwich, mes frites et vais m'asseoir. J'ai envie d'écrire ce texte, histoire de tirer quelque chose de positif de cette journée. Pas de stylo. Brusquement, entre deux bouchées, je suis transporté, dans une fiction. Dans cette scène où le héros solitaire, en pleine crise d'introspection, cherche le réconfort d'une serveuse drôle et compatissante, dans un troquet déniché au milieu de nulle part. A ma droite, j'observe le couple de paumés innocents, qui rêve tout haut d'une vie meilleure. A ma gauche, trois adolescents , agressifs vis ç vis du serveur. J'opte pour le profil bas, plonge dans mon magazine et tente de me faire une place entre les "films à voir" et l' "acteur du mois". Côté cuisine, le poste de radio, branché sur RMC, vrombit et crache des parasites à chaque but. Les piments me donnent déjà mal à l'estomac. La crasse et l'odeur de vieille graisse m'assaillent. La phrase de tout à l'heure revient. "Le bonheur par décision". Je me lance dans une grande analyse là-dessus. Je laisse tomber au bout de 30 secondes. Il est temps, je dois partir. J'attends sur le quai, à Poissy. J'attends sur le quai, à La Défense. J'attends devant la gare, à Chaville. Je bouquine quelques pages, soufflant dans mes poings, histoire de ne pas laisser s'engourdir mes doigts. Il fait moins deux. La voiture du chanteur arrive, manifestement en dépit de toute limitation de vitesse. Ses pneus crissent au freinage. Je suis encore projeté ailleurs, scène 15, extérieur nuit : le pendant cool et branché du héros baisse la vitre passager et lui fait signe de monter. On joue deux heures. Notre batteur fait la gueule, mais personne ne moufte. Je perce l'abcès, lui dit qu'il a l'air démotivé, triste, vidé. "Non, ça va, ça va." Les autres baissent la tête, ils préfèrent sûrement attendre ce soir et la rassurante distance d'une messagerie internet pour s'épancher, pleins d'assurance. Là, face à la réalité brute d'un face à face direct, ils chient dans leurs frocs. La répète se termine. Le batteur morne me ramène à la gare. Les dix minutes de trajet lui suffiront pour tout lâcher. "Je suis nul, je suis une merde, je n'aurai jamais le niveau, je laisse tomber." Je le malmène un peu, fugacement touché par tant de désespoir. Je lui balance une dernière tape derrière l'épaule et descends en trombe de sa voiture. Le temps d'apercevoir le toit du train et d'entendre le signal sonore, il est trop tard. Le suivant est dans une demi heure. Elle, déjà au chaud sous la couette, m'envoie un SMS. Je l'appelle pour lui souhaiter bonne nuit. Il fait froid. Il est onze heures vingt, je suis au milieu des Yvelines, il fait nuit. Je dors dans la gare. Je dors dans le train. Je dors dans le métro. Je marche jusqu'à chez moi en plissant les yeux. Il est une heure. Je suis épuisé. J'ai mal au ventre. J'ai oublié mon bouquin au local de répétition. J'ai perdu un batteur en route. Mes fringues sentent la cigarette, le shit, le cannabis. Je ne sais toujours pas si on peut être heureux par décision. |